CLAIRE ET LE CHIOT

 

 

Pour son troisième anniversaire,

Claire a reçu comme cadeau

un petit chien, un petit chiot

tout juste soustrait à sa mère.

 

Il rêve, le tout petit chien,

les yeux clos et le nez perdu,

de la fourrure répandue

dans laquelle il était si bien.

 

Alors Claire, dans la corbeille

où s'attriste son compagnon,

verse l'or de ses cheveux blonds

qui le rassure et l'ensommeille...

 

Elle a, grâce à ce petit drame,

deviné le geste apaisant

que, pour le fils ou bien l'amant,

elle fera, devenue femme...

 

 

 


 

 

LA MOUCHE ET LE TIMBALIER

 

 

Ce jour-là, la Mouche du Coche

a choisi de faire jouer

avec un peu plus de brio

le Grand Orchestre Symphonique...

 

De le baguette du grand Chef

jusqu'au nez du clarinettiste,

elle s'affaire et fait en sorte

que les musiciens, déroutés,

prient en attendant un sauveur...

 

Le Timbalier du Grand Orchestre,

celui que les autres méprisent

car il ne sort de son silence

que pour asséner ses outrances,

lève en un geste magistral

le soleil d'or de ses cymbales

sur le marais sombre et troublé...

 

La Mouche approche! Osera-t-il ?

Les autres voudraient bien qu'il ose,

quitte à désespérer Berlioz...

 

Il a osé! Dans un tonnerre,

la mouche importune rend l'âme.
L'orchestre ajoute un long soupir

à la partition écorchée

et le Chef s'éponge le front.

 

Pour la première fois, je crois,

et sans doute pour la dernière,

le fier Timbalier a eu droit

aux bravos de ses congénères!...


 

 

BLASPHEME

 

Alors déferle sur la plage

l'immense rancune de Dieu

qui mord la falaise avec rage

et mine le môle aux adieux.

 

Des femmes, devant le rivage,

s'inclinent machinalement

mais les garçons de tous âges

ont serré les poings et les dents.

 

Crachant dans la bave divine,

ils bravent le grand Ravageur

qui roule à leurs pieds d'anonymes

cadavres de toutes couleurs.

 

Ils dressent contre l'Innommable

une chaloupe de haut bord,

ils s'allieraient avec le Diable

contre le chantage à la mort.

 

La barque enfin quitte le sable

et monte sur le dos du vent.

Un hurlement épouvantable

fait frémir et mâts et haubans.

 

Elle louvoie contre la Haine.

Trop libre pour être à "Marie,"

"Liberté" étant déjà pris,

à la poupe j'ai lu "Blasphème"

 


 

 

 

CHANT DU DERACINE

 

Je suis jaloux de vos enfances

quand s'y réfugient vos chagrins,

de vos campagnes d'innocence,

de vos fermes, de vos cousins

et de vos clochers d'évidence...

 

Comme ces enfants du voyage,

dans la roulotte de l'Histoire,

j'ai vu le ciel, dans mon jeune âge,

aux accrocs d'une bâche noire

et le monde était de passage.

 

J'ai vu la plaine laminée

aux villages de briques neuves,

le cimetière profané

où volait un voile de veuve

au champ des croix désalignées.

 

Lorsque ont monté, à l'horizon,

au-devant de notre cortège,

vos églises et vos maisons,

ce fut , bien sûr, le tendre piège

et j'ai chanté vos semaisons.

 

Après tant d'années, il m'en coûte

de renoncer à vous mentir:

au fond de mon cœur est un doute,

un baluchon de souvenirs

tout prêt à reprendre la route...

Retour à l'accueil