Empreintes 20 Maurice Faës
22 déc. 2013CLAIRE ET LE CHIOT
Pour son troisième anniversaire,
Claire a reçu comme cadeau
un petit chien, un petit chiot
tout juste soustrait à sa mère.
Il rêve, le tout petit chien,
les yeux clos et le nez perdu,
de la fourrure répandue
dans laquelle il était si bien.
Alors Claire, dans la corbeille
où s'attriste son compagnon,
verse l'or de ses cheveux blonds
qui le rassure et l'ensommeille...
Elle a, grâce à ce petit drame,
deviné le geste apaisant
que, pour le fils ou bien l'amant,
elle fera, devenue femme...
LA MOUCHE ET LE TIMBALIER
Ce jour-là, la Mouche du Coche
a choisi de faire jouer
avec un peu plus de brio
le Grand Orchestre Symphonique...
De le baguette du grand Chef
jusqu'au nez du clarinettiste,
elle s'affaire et fait en sorte
que les musiciens, déroutés,
prient en attendant un sauveur...
Le Timbalier du Grand Orchestre,
celui que les autres méprisent
car il ne sort de son silence
que pour asséner ses outrances,
lève en un geste magistral
le soleil d'or de ses cymbales
sur le marais sombre et troublé...
La Mouche approche! Osera-t-il ?
Les autres voudraient bien qu'il ose,
quitte à désespérer Berlioz...
Il a osé! Dans un tonnerre,
la mouche importune rend l'âme.
L'orchestre ajoute un long soupir
à la partition écorchée
et le Chef s'éponge le front.
Pour la première fois, je crois,
et sans doute pour la dernière,
le fier Timbalier a eu droit
aux bravos de ses congénères!...
BLASPHEME
Alors déferle sur la plage
l'immense rancune de Dieu
qui mord la falaise avec rage
et mine le môle aux adieux.
Des femmes, devant le rivage,
s'inclinent machinalement
mais les garçons de tous âges
ont serré les poings et les dents.
Crachant dans la bave divine,
ils bravent le grand Ravageur
qui roule à leurs pieds d'anonymes
cadavres de toutes couleurs.
Ils dressent contre l'Innommable
une chaloupe de haut bord,
ils s'allieraient avec le Diable
contre le chantage à la mort.
La barque enfin quitte le sable
et monte sur le dos du vent.
Un hurlement épouvantable
fait frémir et mâts et haubans.
Elle louvoie contre la Haine.
Trop libre pour être à "Marie,"
"Liberté" étant déjà pris,
à la poupe j'ai lu "Blasphème"
CHANT DU DERACINE
Je suis jaloux de vos enfances
quand s'y réfugient vos chagrins,
de vos campagnes d'innocence,
de vos fermes, de vos cousins
et de vos clochers d'évidence...
Comme ces enfants du voyage,
dans la roulotte de l'Histoire,
j'ai vu le ciel, dans mon jeune âge,
aux accrocs d'une bâche noire
et le monde était de passage.
J'ai vu la plaine laminée
aux villages de briques neuves,
le cimetière profané
où volait un voile de veuve
au champ des croix désalignées.
Lorsque ont monté, à l'horizon,
au-devant de notre cortège,
vos églises et vos maisons,
ce fut , bien sûr, le tendre piège
et j'ai chanté vos semaisons.
Après tant d'années, il m'en coûte
de renoncer à vous mentir:
au fond de mon cœur est un doute,
un baluchon de souvenirs
tout prêt à reprendre la route...